Wa Thiong’o montre que la centralité des langues et des cultures européennes est à la fois le symptôme et l’outil d’un ordre néocolonial porté par des bourgeoisies qui se sont substituées au colonisateur. Par la question linguistique, Wa Thiong’o, nourri par Frantz Fanon, décrypte la trahison de ces bourgeoisies :
‘L’aliénation coloniale se met en place dès que la langue de la conceptualisation, de la pensée, de l’éducation scolaire, du développement intellectuel se trouve dissociée de la langue des échanges domestiques quotidiens ; elle revient à séparer l’esprit du corps et à leur assigner deux sphères séparées. À une échelle plus globale, elle aboutit à une société d’esprits sans corps et de corps sans esprits.’
Cette dissociation corps-esprit se traduit à un niveau plus global par le clivage entre deux classes. D’un côté le peuple, dont n’est reconnu ni la langue ni la culture et qui est jugé, exploité, commandé, administré dans une langue qui lui est étrangère. Privé de mots, il est condamné au silence, à l’incompréhension face à la violence du système qui l’exploite.
De l’autre côté la bourgeoisie pro-impérialiste, pour laquelle langues et cultures européennes sont les outils idéaux de collaboration avec les anciennes ou futures puissances tutélaires. Outils idéaux de sauvegarde de leur classe, du maintien du peuple loin des affaires politiques et de filtrage social par le biais d’une éducation discriminante.
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