Le guerrier de l’imaginaire

Patrick Chamoiseau: Il faut organiser la dialogique des mémoires et c’est comme ça qu’on va créer cette espèce de trame commune qui permettra à chacun de se sentir bien. C’est la poétique de la Relation. Une fois qu’on a compris créolité / créolisation dans la dialogique, on passe à la question relationnelle. La Relation ce n’est pas la juxtaposition cosmopolite avec des communautés – bien sûr il y aura toujours cette tentation mais il faut que l’organisation politique soit plus une organisation relationnelle, qui donne à chacun sa mémoire, son culte. Tout cela doit pouvoir s’entremêler, dialoguer, vivre en harmonie. Il faut laisser circuler le flux énergétique qui permet de changer en échangeant sans y perdre sa nature. Le problème lorsque l’on a une telle diversité intérieure, tant de langues, tellement d’imaginaire, tellement de visions du monde qui se rassemblent, si on n’a pas la poétique de cette diversité-là, on ne peut pas l’exprimer.

… Nous sommes nés dans l’esclavage et la colonisation. Le colonisateur est en nous, c’est donc une autre conception qu’il faut élaborer, c’est ce que la pensée libératrice n’a pas su faire jusqu’à maintenant, et puis les systèmes de domination ont complètement changé. Tous les enfants du monde boivent du coca-cola, mangent des hamburgers. il y a une « culture monde » qui est largement occidentalisée et qui domine les esprits.

Il nous faut trouver cette manière de se positionner lorsqu’on essaie de lutter contre ça, qu’est-ce qui surgit ? L’intégrisme religieux, l’intégrisme ethnique, le désir de purification, l’anti-occidentalisme primaire. Du coup, la liberté passe du côté de l’Occident. J’ai vu beaucoup de femmes musulmanes, algériennes ou autres, qui pensaient la libération de la femme d’un point de vue féministe. Elles s’occidentalisaient, elles n’arrivaient pas à rester dans leur espace : la libération passe par l’occidentalisation. Et c’est un des grands drames de la situation actuelle : ceux qui refusent la standardisation occidentale deviennent archaïques, régressifs. La modernité, la liberté, le progrès passe du côté de l’Occident. Et plus on s’occidentalise, plus on a l’impression de se libérer. C’est un des grands combats du guerrier de l’imaginaire – l’Occident fait partie de nous mais nous pouvons aussi organiser notre vie, notre liberté selon des modalités plus complexes. Plus ici.

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