Houria Bouteldja: Ainsi, la violence masculine qui est une réalité préoccupante dans les quartiers populaires où vivent la majorité écrasante des populations indigènes (je pense notamment à la violence physique, au viol, au contrôle familiale des femmes et de leur corps, à la rigidification des rôles sociaux des hommes et des femmes qui immobilise les femmes dans des rôles strictes de mères et d’épouses…) ne sont que des oppressions parmi d’autres. J’ajoute à cela la charge très négative du mot « féminisme ». Il est perçu avant tout comme une arme de l’impérialisme et du racisme et par les hommes et par les femmes. D’où la difficulté pour les femmes conscientes de la nécessité d’une lutte contre le patriarcat de s’en emparer comme identité assumée car elles sont susceptibles de susciter – peut-être pas l’opprobre générale – mais des suspicions. Ainsi, le strict combat contre le sexisme peut avoir des effets pervers. Il peut contribuer à renforcer la domination masculine des hommes indigènes.
En effet, le patriarcat raciste blanc a depuis longtemps compris qu’il avait intérêt à combattre le patriarcat des hommes of color. Pendant le colonialisme, l’un des axes stratégiques de la politique coloniale fut justement de libérer les femmes jugées opprimées alors même que les femmes en France n’avaient pas le droit de vote. Fanon en a largement parlé dans l’an V de la révolution algérienne. Le dévoilement public des femmes a été l’une des armes privilégiées pour détruire le patriarcat des indigènes. Ainsi, ce n’est pas les femmes indigènes qui ont affaiblit le patriarcat indigènes mais les blancs, et cela fait toute la différence. Car en Europe, ce sont bien les mouvements féministes blancs qui ont attaqué leur patriarcat, pas des puissances étrangères. Cela mérite d’être souligné pour comprendre le malaise de nombre de femmes confrontées à la notion de féminisme. Cette politique est toujours en vigueur.
La France post-coloniale poursuit son rêve de s’approprier le corps des femmes indigènes et de déposséder l’homme indigène, c’est-à-dire de le faire abdiquer de son seul pouvoir réel. L’homme indigène n’a aucun pouvoir : ni politique, ni économique, ni symbolique. Il ne lui reste que celui qu’il exerce sur sa famille (femmes et enfants). Dans le cadre de la bataille entre les deux patriarcats, celui blanc et dominant, celui indigène et affaiblit, les femmes ont le choix entre jouer un rôle passif et se soumettre à l’un ou à l’autre ou au contraire jouer un rôle actif et mettre en place des stratégies pour desserrer l’étau sur elles et se frayer des chemins pour la liberté. Il faut bien comprendre que la marge de manœuvre est très faible. C’est pourquoi, le premier conseil, celui qui consiste à articuler anti-racisme et féminisme est inopérant, car plutôt que de desserrer cet étau, souvent, il le resserre. C’est pourquoi, le deuxième conseil, qui consiste à préconiser l’entre soi des femmes est également inopérant car il suppose la volonté de créer un rapport de force des femmes contre les hommes de la communauté. La non mixité politique est efficace en milieux blanc, mais pas en milieux indigène.
C’est mon avis mais bien sûr il est à débattre. Je précise au passage que la non mixité sociale, c’est-à-dire la séparation physique entre les hommes et les femmes, est une pratique courante. Je parle donc bien ici de la non mixité politique qui se fait en toute conscience et qui a pour objectif d’exclure les hommes pour construire un pouvoir féminin. Je n’ai rien contre cette démarche dans l’absolu car je suis convaincue qu’elle est efficace dans certains contextes mais pas dans le notre. Pourquoi ? Parce que le colonialisme et le racisme, ont justement séparé les hommes et les femmes indigènes lorsqu’ils ont accusé l’homme of color d’être l’ennemi principal de la femme of color. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous sommes déjà séparés, déjà divisés, déjà construits comme ennemis les uns des autres et que le colonialisme a fait pénétrer dans le cœur des femmes la haine de l’homme indigène.
From Google Translate, quickly corrected/edited by myself:
Thus, male violence is a disturbing reality in the neighborhoods where the overwhelming majority of indigenous people live (I am thinking of physical violence, rape, control over women’s bodies, inflexible social structures which constrain women and keep them trapped in the role of mother and wife, etc) but these are only some oppressions amongst many others. I must talk about the negative connotation of the word “feminism.” It is seen primarily as a weapon of imperialism and racism. This makes it difficult for women who are aware of the need to struggle against patriarchy to assume an identity which is likely to produce – perhaps not general opprobrium – but suspicion. Thus, the fight against sexism can have perverse effects. It can help strengthen the male domination of indigenous men.
Indeed, white racist patriarchy has long understood its interest in fighting the patriarchy of men of color. One of the strategic pillars of colonial policy was to liberate oppressed indigenous women when women in France didn’t even have the right to vote. Fanon spoke about this at length in the year V of the Algerian revolution. The public unveiling of women was one of the favored weapons used to destroy indigenous patriarchy. In such cases, it’s not indigenous women who weaken indigenous patriarchy but the white establishment, and that makes all the difference. In Europe, white feminists fought patriarchy, not foreign powers. This should be emphasized so as to understand the discomfort many women face with the notion of feminism. These politics are still at work.
Post-colonial France continues to pursue its dream of owning the bodies of indigenous women and dispossessing native men, that is to say, to make indigenous men abdicate their only real power. The native man has no power: political or economic or symbolic. He only has some power over his family (women and children). As part of the battle between the two patriarchies (dominant white and weakened indigenous) women have the choice between playing a passive role and submitting to one or the other patriarchy or playing an active role and implementing strategies that end their oppression and help them forge a path to freedom. It should be understood that women must tread that path very carefully. That is why the first advice given to us, which is to articulate anti-racism and feminism is irrelevant, because rather than loosen the vice of oppression, often it tightens it. The second advice, which is to advocate amongst women exclusively is also ineffective because it requires a willingness to create a power struggle between women and the men in their community. This policy of separateness is effective in white circles, but not in native environments.
That’s my opinion but of course it is open to debate. I note in passing that separateness, that is to say, the physical separation between men and women is common practice in native communities. But I speak here of political separateness which is a conscious exclusion of native men in order to build native feminine power. I have nothing against this approach in absolute terms because I am convinced that it is effective in some contexts but not in ours. Why? Because colonialism and racism have separated indigenous men and women by accusing the man of color to be the main enemy of the woman of color. What must be understood is that we are already separated, already divided, already defined as enemies of each other – colonialism has filled the hearts of native women with hatred for the native man.
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